Pourquoi tu te sens responsable des émotions des autres ? Le rôle invisible de la charge émotionnelle (PARTIE 1)
Et si tu n'étais pas seulement trop sensible ou empathique ?
Combien de fois t’a-t-on dit que tu “prends tout trop à cœur”, que tu devrais “laisser couler”, “arrêter de te faire des films”, ou “ne pas te prendre la tête” ? Peut-être que tu as fini par te dire que tu étais simplement trop sensible, trop empathique alors que tu portes une charge invisible que personne ne nomme : la charge émotionnelle.
Et si cette “sensibilité” n’était pas un trait de caractère mais le résultat d’années à être encouragé.e à t’adapter, consoler, comprendre… bien plus que les autres ?
La charge émotionnelle, c’est le travail invisible qui consiste à prendre soin des émotions des autres, parfois jusqu’à négliger ses propres émotions, besoins et limites.
Ton corps s’est habitué à détecter, scanner, anticiper avant même que tu mettes des mots sur ce qui se passe.
- Tu captes les silences, les regards qui fuient, les soupirs,
- Tu jauges constamment comment se sentent les personnes autour de toi.
- Tu joues les équilibristes pour ne pas froisser, désamorcer les conflits, préserver la paix.
- Tu t’efforces de combler les besoins de chacun.e.
Tu prends soin des émotions des autres avant les tiennes mais tes ressources ne sont pas illimitées. Cette charge affective est tellement normalisée (surtout pour les femmes) qu’on ne la voit plus. Mais elle coûte énormément : fatigue émotionnelle, surcharge, suradaptation.
Qu’est-ce que la charge émotionnelle ?
Le concept de charge mentale
Ces dernières années, on a de plus en plus abordé le concept de charge mentale et peut-être que tu as entendu parler de la BD d’Emma qui a popularisé le sujet. La charge mentale est le fait de devoir penser à tout ce qui concerne la logistique du couple ou de la famille : penser, anticiper et gérer les repas, les tâches ménagères, les rdv médicaux, les invitations ou sorties etc.. La charge des tâches ménagères et parentales sont majoritairement portées par les femmes
Qu’en est-il de la charge émotionnelle ?
Mais il existe une autre forme de surcharge: la charge émotionnelle.
Il s’agit du travail invisible consistant à porter les émotions des autres, à veiller à ce que tout le monde aille bien, à prévenir les tensions, à ajuster son comportement pour éviter un conflit, éviter tout débordement (même quand personne ne le demande explicitement). Ce travail consiste aussi à maintenir un climat relationnel agréable parfois au prix de ta propre paix intérieure et il est rarement reconnu à sa juste valeur.
Cette forme de travail émotionnel a été étudiée dans les années 80 par Arlie Hochschild qui montrait que ce travail n’était pas distribué au hasard. Cette thématique a aussi été abordée dans une autre BD d’Emma.
La métaphore du thermostat
Tu régules en permanence la température relationnelle. - Quand ça surchauffe, tu refroidis. -Quand ça refroidis, tu réchauffes. Tu ajustes et te suradaptes pour maintenir la “bonne température” jusqu’à perdre le contact avec ta propre température interne.
Dans le quotidien cela peut ressembler une accumulation de mini-réajustements
- Tu rassures pour éviter que l’autre ne se braque
- Tu reformules tes phrases dix fois pour ne blesser personne
- Tu te surveilles ton ton, tes expressions, ta posture pour ne pas alourdir l’ambiance
- Tu absorbes les tensions et émotions
Et parfois, tu exploses telle une cocotte-minute à cause de cette surcharge émotionnelle ou tu craques en silence et à l’abri des regards.
Pourquoi ce rôle incombe le plus souvent aux femmes ?
Mais alors pourquoi certain.es se sentent plus responsables du confort et du bien-être des personnes de leur entourage ?
Les femmes sont davantage conditionnées à être dans le don de soi, à être attentionnées, à ne pas protester en mettant de côté leurs propres besoins et limites. Les rôles et comportements genrés inculqués dès l’enfance y sont donc pour beaucoup !
Ce que la société attend plutôt des femmes
Être douce et empathique. Écouter et rassurer Anticiper. Ne pas brusquer. S’occuper des autres, adultes comme enfants.
Si tu te sens concern.ée c’est que tu as sûrement intégré que…
- ton existence doit être ajustée pour laisser de la place aux autres, au point parfois de t’effacer.
- une “bonne femme”, une “bonne collègue”, une “bonne partenaire”, c’est quelqu’un qui sait maintenir un climat agréable pour tous.tes, qui prend soin, qui se dévoue.
Ce que la société attend plus volontiers des hommes :
Ne pas montrer sa vulnérabilité. Se montrer fort. S'affirmer. Occuper la place et l'espace.
Ce qui est intégré...
- se construire en opposition aux qualités dites “féminines” (écoute, sensibilité..)
- certaines émotions sont permises (la colère, la frustration)
- d’autres doivent être refoulées (la tristesse, la vulnérabilité)
- c’est ok de s’appuyer sur les femmes de leur entourage pour se “décharger”
Dans les relations, le travail émotionnel est donc souvent réparti de manière déséquilibrée, les femmes se préoccupant plus souvent du bien-être émotionnel de leur entourage.
Dans ton couple, tu te retiens de dire que quelque chose t’a blessé pour préserver la soirée, tu t’adaptes à son humeur avant même de te demander dans quel état toi tu sens.
En famille, c’est toi qui appelles pour prendre des nouvelles, qui gères les anniversaires, qui apaises les tensions.
Avec tes ami.es, tu es celle qui écoute pendant des heures, qui devine quand ça ne va pas, qui amène sa pâtisserie préférée à ta collègue qui se sent mal.
Dans un groupe, tu ris à des blagues, même déplacées, pour ne pas le mettre mal à l’aise et préserver l’ambiance.
Au travail, tu es celle qui comprend, qui écoute le collègue en détresse, qui gère les tensions.
Cette charge émotionnelle se retrouve donc dans toutes les relations mais aussi dans le domaine professionnel ! Les femmes sont d'ailleurs surreprésentées dans les métiers du care indispensable (du soin, du social, de l’éducatif) et pourtant non valorisés car on estime que ce travail relève de compétences naturelles.
Attention : Ces exemples n’ont pas pour but de dire qu’être attentionné·e est un problème, ni qu’il faudrait devenir indifférent·e ou égoïste. L’idée est plutôt de questionner : cette répartition des rôles me convient-elle ? Que me coûte ce travail émotionnel ? Quelle est la place pour mes propres besoins ?
Comment ce rôle s’est ancré sans que tu t’en rendes compte (d’autres explications)
Tu portes aujourd’hui ce rôle de celle qui prend soin car tu as intégré très tôt que l’harmonie dépendait de toi. Ces automatismes se sont construits dans les environnements où tu as dû t’adapter, apprendre à éviter les débordements, deviner avant qu’on te demande, être "facile à vivre”. Il s’agit donc aussi de stratégie de survie relationnelle.
Hypervigilance relationnelle
Quand on grandit dans un climat instable ou tendu (un parent imprévisible, des disputes latentes), on devient expert.e pour analyser les micro-signaux : un silence plus long, un souffle trop fort, un changement de ton… Car c’est une façon de se protéger.
Ne pas faire de vagues
Le réflexe de te faire petite est peut-être encore présent si tu as appris que pour être aimé.e, il fallait éviter de déranger, ne pas réclamer, ne pas faire de vague. Tu as intégré que ta place devait être mesurée, discrète, contrôlée.
Réflexe du “c’est sûrement moi”
Une personne se montre tendu.e, tu te demandes immédiatement : qu’est-ce que j’ai fait ? Quelqu’un est silencieux, tu cherches l’erreur. Tu t’excuses même quand tu n’as rien fait. Ce réflexe est souvent le résultat d’une sur-responsabilisation apprise très tôt. Cette culpabilité intériorisée te pousse à prendre en charge ce qui ne t’appartient pas.
Comment reconnaître que tu portes (trop) la charge émotionnelle
Regarde si tu te reconnais ici :
Tu scannes les humeurs des autres en continu,
Tu ajustes ton comportement avant même que l’autre ne parle,
Tu anticipes toutes les réactions possibles,
Tu absorbes les tensions pour éviter les conflits.
Tu joues les médiatrices, tu adoucis, tu expliques,
Tu t’excuses souvent, même sans raison,
Tu facilites la communication dans tes relations,
Tu prends soin de la santé émotionnelle d’autrui au détriment de la tienne.
Le signe le plus fiable, ce n’est pas tant ce que tu fais pour les autres : c’est ce que ton corps te dit après. Si tu es vidée, tendue, irritable, c’est probablement qu’il y a surcharge et que tu as dépassé tes propres limites.
Vers une charge émotionnelle plus juste
La charge émotionnelle, comme la charge mentale, n’est pas un simple problème individuel mais une charge largement genrée, qui pèse sur les épaules de nombreuses femmes.
Si tu as l’impression de t’oublier pour préserver les autres, garde en tête qu’il ne s’agit pas d’un manque de volonté. C’est un système entier qui t’a appris à t’effacer et tu as le droit d’y mettre un frein.
Tu n’as pas pour à renoncer à ton empathie, elle est précieuse. Reprendre ta juste place ne veut pas dire devenir froide ou égoïste non plus.
Tu peux apprendre à prendre soin de toi AUSSI (et pas à tout prix). Tu peux apprendre à redonner de l’importance à tes propres besoins et limites, sans négliger ni écraser.
Cela nécessite de reconnaître ta propre valeur, mais aussi de travailler ta capacité à t’exprimer, poser tes limites et faire entendre ta voix…
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